Nous avions terminé l’article précédent en expliquant que c’est dans le dernier tiers du XIXe siècle qu’apparaît progressivement le chronographe moderne basé sur les brevets d’Adolphe Nicole.
En Suisse, la production se concentre d’abord dans la vallée de Joux : LeCoultre développe pas moins d’une centaine de calibres de ce type entre 1870 et 1900. Dans les années 1880, elle gagne les cantons de Neuchâtel et Berne avec des marques comme Breitling, Heuer et Longines. C’est à cette époque que commence l’identification de ces marques au chronographe, leur permettant de se construire petit à petit une réputation sportive.
Parmi les différents domaines de développement qui touchent ce nouveau mécanisme, il en est auxquels on ne pense pas forcément : par exemple la place et les fonctions du, et puis des poussoirs. A l’époque, le chronographe n’en possède en effet qu’un seul qui commande sa marche, son arrêt, et sa remise à zéro, toujours dans cet ordre. De plus, il est très généralement intégré à la couronne. Il faudra attendre les années 1930 pour qu’après de nombreux brevets et presque autant d’essais, les deux poussoirs que nous connaissons trouvent leur place définitive.
Un exemple de la créativité des horlogers en la matière est le brevet que Paul-Louis Droz dépose en date du 7 janvier 1893 sous le n°6180. Il y décrit l’utilisation d’un deuxième poussoir permettant la reprise d’un chronométrage sans remise à zéro – une fonction qui semble s’apparenter au « retour en vol » ; l’arrêt et la remise à zéro pouvant ensuite se faire indifféremment par l’un ou l’autre des deux poussoirs.
L’invention fera l’objet d’une parution dans le journal « La Fédération Horlogère » du 11 mai de la même année où l’on parle d’un « mécanisme à double effet pour montres-chronographes ». Ce brevet a ceci d’intéressant qu’il touche à la fois à la place et à la fonction des poussoirs. Bien évidemment, il n’est pas le seul en son genre.
Dans le même ordre d’idée, en 1913, Omega commercialise des montres-bracelets avec chronographe sur base d’un mécanisme datant de 1906 et prévu d’abord pour des montres de poche. Il possède la particularité d’avoir son unique poussoir placé à six heures, entre les cornes du boîtier.
C’est cette même année que Longines lance le calibre 13.33Z qui est tout simplement le premier mouvement avec chronographe spécialement produit pour les montres-bracelets.
Classique dans sa conception, il ne possède toujours qu’un poussoir, intégré à sa couronne.
On crédite Breitling d’avoir donné sa forme définitive à la montre-bracelet chronographe avec le poussoir de marche et d’arrêt à deux heures, et celui de remise à zéro à quatre heures. Cela se fit en plusieurs étapes. En 1915, la manufacture désolidarise le poussoir de la couronne et le positionne à deux heures. En 1923, la fonction remise à zéro devient indépendante et retourne sur la couronne à trois heures, avant d’occuper sa place définitive à quatre heures. Cette ultime évolution se fit en 1934 à la faveur d’un brevet déposé par Willy Breitling. Dans un texte de présentation paru dans La Revue Internationale de l’Horlogerie, on peut lire que si « l’aspect de la pièce créée par la maison G. Léon Breitling S.A. diffère nettement de celui d’un chronographe-compteur bracelet habituel », c’est pour mieux « répondre aux exigences toujours plus grandes, tant au point de vue industriel que sportif, de la vie moderne, qui oblige chacun à calculer en secondes, à tout traduire en chiffres […] ».
De cette exigence de calculer en secondes, naîtra aussi un autre axe de perfectionnement : la fréquence.
En effet, plus cette dernière est haute, plus le chronographe est capable de mesurer avec précision les temps courts. A ce titre, en horlogerie mécanique, la maison Heuer frappe un grand coup dès 1916 avec le Mikrograph. Ce dernier n’est pas une montre-bracelet mais bien un compteur de sport. Ce qui fait sa singularité, c’est qu’il est cadencé au 100e de seconde. Le mécanisme est tellement rapide que l’affichage doit s’adapter : l’aiguille principale fait un tour du cadran en trois secondes, et le compteur à midi totalise deux minutes. D’une certaine manière, il est le descendant du compteur de tierces de Louis Moinet qui battait déjà au 60e de seconde. Cependant, contrairement à ce dernier, il ne restera pas confiné dans l’atelier d’un horloger et connaîtra une carrière commerciale et sportive.
La précision de ses garde-temps vaudra d’ailleurs à Heuer de participer au chronométrage des Jeux Olympiques d’Anvers en 1920, de Paris en 1924 et d’Amsterdam en 1928. L’ironie de l’histoire veut que la marque se voie remplacée par Omega lors de l’édition de 1932 à Los Angeles, au moment où le chronométrage réglementaire, qui se faisait jusque-là au 5e de seconde, passe au 100e de seconde.